Covid-19 et Contrats informatiques

Covid-19 et contrats informatiques

L’impact de la pandémie de Covid-19 sur l’exécution des contrats informatiques

Cet article existe en version anglaise : Covid-19 and tech contracts

En cette période de crise sanitaire, plusieurs mécanismes juridiques peuvent venir en aide aux cocontractants qui ne sont plus en mesure d’exécuter leurs contrats informatiques en cours.

Ainsi, l’exception de force majeure permet, lorsque certaines conditions restrictives sont remplies, de suspendre ou de résilier le contrat.

Par ailleurs, en application de l’article 1195 du Code civil sur l’imprévision, un cocontractant qui fait face à une exécution d’un contrat devenue excessivement onéreuse peut solliciter une renégociation du contrat et en cas d’échec de celle-ci, obtenir du juge la modification ou la résiliation du contrat.

Enfin, le risque majoré durant la crise que nous traversons d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’une des parties, fait peser pour les utilisateurs des risques accrus sur la maintenance de leurs logiciels.

Les utilisateurs devront donc vérifier si leur contrat leur garantit la continuité du fonctionnement de leurs logiciels ou à défaut, obtenir ces garanties.

 

Les contrats informatiques représentent souvent des contrats à fort enjeu

Du fait de la situation de pandémie que nous rencontrons, certaines entreprises pourraient ne plus être en capacité de les exécuter.

Quel est l’impact du Covid-19 sur les contrats informatiques en cours ?

Si vous êtes une entreprise de services du numérique (développement, maintenance, infogérance) ou un éditeur de logiciel, vous pouvez être confronté :

  • au défaut de paiement de redevances de licence ou de maintenance, ou de vos prestations de services.
  • à la demande de renégociation de ces sommes, en application des dispositions de l’article 1195 du Code civil sur l’imprévision.

Si votre entreprise est utilisatrice, vous pouvez être confronté :

  • à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une Entreprise de Services du Numérique avec laquelle vous avez un contrat en cours;
  • à l’inexécution de l’obligation de support ou de maintenance d’un éditeur de logiciel ou d’une société qui effectue la tierce maintenance applicative d’un de vos logiciels, ou encore à l’inexécution d’une prestation de services informatiques de type infogérance ;
  • à votre incapacité à honorer le paiement de redevances ou de prestations informatiques.

 

En droit, les mécanismes principaux qui peuvent intervenir dans ces différents cas de figure sont :

  1. l’exception de force majeure
  2. l’application des dispositions relatives à l’imprévision pour les contrats conclus depuis le 1er octobre 2016
  3. l’application du droit des procédures collectives et la la mise en œuvre d’un droit d’accès aux codes sources d’un logiciel

Ces différents mécanismes seront examinés ci-après, dans le contexte de crise sanitaire que nous traversons.

 

1. L’exception de force majeure

Le Covid 19 constitue-t-il un cas de force majeure ? Entre professionnels, cela dépend des termes du contrat.

En effet, l’article 1218 du Code Civil, issu de la réforme du droit des contrats, prévoit que :

Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations (…).

Ainsi, notre droit commun des obligations prévoit que tout évènement répondant aux critères cumulatifs d’imprévisibilité, d’extériorité et d’irrésistibilité permet à une partie de s’exonérer de ses obligations, temporairement ou définitivement, dès lors qu’elle se trouve empêchée de les exécuter.

 

Que prévoit votre contrat en cas de force majeure ?

Avant d’examiner si le Covid 19 constitue un évènement de force majeure au sens des dispositions précitées, il convient de se demander si celles-ci sont applicables à votre contrat en cours.

En effet, ces dispositions ne sont pas d’ordre public. Il est possible d’y déroger par contrat.

Ainsi, plusieurs hypothèses sont envisageables :

  • le contrat se réfère aux dispositions du Code civil et y ajoute non limitativement une liste de cas prédéfinis qui sont qualifiés par avance d’évènement de force majeure. C’est le cas le plus fréquent. Soit le cas de pandémie y figure et le Covid 19 sera considéré comme un évènement de force majeure sans qu’il soit besoin de vérifier qu’il remplit les conditions posées par l’article 1218, soit ce type d’évènement n’y figure pas et l’on en revient au droit commun ;
  • le contrat exclut le bénéfice de la force majeure pour l’une des parties ou les deux : la partie y ayant renoncé ne pourra se prévaloir des dispositions du Code civil précitées, sauf à exciper, le cas échéant, de l’application des dispositions sur le déséquilibre significatif dans le cadre des contrats d’adhésion ;
  • le contrat retient d’autres critères que ceux prévus par le Code civil pour qualifier un évènement de force majeure. Il conviendra de se référer à ces critères pour vérifier si le Covid 19 les remplit ;
  • le contrat est silencieux sur la force majeure : dans ce cas, c’est l’article 1218 du Code Civil qui s’applique.

 

Le Covid-19 constitue-t-il un cas de force majeure ?

Il convient ensuite d’analyser si le Covid 19 constitue un cas de force majeure au sens de l’article 1218 précité.

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, a déclaré, le 28 février 2020 que le Covid-19 serait considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises et qu’en conséquence, pour les marchés publics de l’État, en cas de retard de livraison de la part d’une PME ou d’une entreprise, les pénalités ne seraient pas appliquées.

Bien entendu, une telle déclaration politique n’a pas, en tant que telle, de portée juridique mais une telle référence à la notion de force majeure dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons laisse présager qu’un tel argument pourrait également être invoqué dans les contrats de droit privé.

Chaque condition posée par l’article 1218 doit être examinée au regard des circonstances du contrat en cours :

L’extériorité

Ce critère concernant le Covid-19 ne pose pas de difficulté.

L’imprévisibilité

Le critère d’imprévisibilité selon lequel l’évènement ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat, dépend de la date à laquelle le contrat a été conclu.

Pour les contrats conclus ou les commandes passées avant la survenance de la pandémie dans le monde, le caractère imprévisible est acquis.

Après l’allocution du Président de la République en date du 16 mars 2020, on peut considérer en France que le caractère imprévisible fait défaut.

Dans la période intermédiaire, il appartient au juge de se prononcer sur le caractère imprévisible.

Ainsi, un arrêt de la Cour d’appel de Besançon du 8 janvier 2014 [1] a considéré que l’épidémie de grippe H1N1 n’avait pas un caractère imprévisible pour la société qui tentait de s’en prévaloir au motif que cette épidémie avait « été largement annoncée et prévue, avant même la mise en œuvre de la réglementation sanitaire».

L’irrésistibilité

Le critère d’irrésistibilité selon lequel les effets de l’évènement ne peuvent être évités par des mesures appropriées, est également à examiner au cas par cas.

Si l’activité de l’entreprise ou l’exécution du contrat est directement impactée par l’interdiction de circuler ou la fermeture des activités non essentielles, la condition d’irrésistibilité sera considérée comme remplie.

En revanche, l’impossibilité de s’acquitter d’un paiement du fait de difficultés de trésorerie n’est pas retenu par les tribunaux comme constitutif du caractère irrésistible.

Partant, le débiteur ne peut s’exonérer de son obligation de paiement au motif d’un évènement de force majeure. C’est ce que retient la Cour de cassation par un arrêt du 16 septembre 2014[2].

Dans ce cas-là, il sera préférable de se prévaloir des dispositions de l’article 1195 du Code civil sur l’imprévision.

 

2. L’application des dispositions du Code civil sur l’imprévision

L’article 1195 du Code Civil sur l’imprévision ne s’applique qu’aux contrats conclus depuis le 1er octobre 2016, date de l’entrée en vigueur de la réforme du droit des obligations.

Celui-ci prévoit :

Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.

Le même mécanisme contractuel que pour la force majeure joue ici.

Ces dispositions n’étant pas d’ordre public, il convient là aussi de vérifier que le bénéfice de l’article 1195 n’a pas été exclu du contrat pour l’une des parties ou les deux.

Si tel est le cas, seule une demande de renégociation fondée sur le principe de la bonne foi entre les parties peut prospérer, sans que la partie en demande ne puisse s’appuyer sur ces dispositions.

Dans le cas contraire, l’article 1195 s’applique et une partie peut s’en prévaloir dès lors qu’elle établit que l’exécution du contrat est devenue excessivement onéreuse pour elle et ce, sous réserve que le changement de circonstances qui en est la cause soit considéré comme imprévisible au moment de la conclusion du contrat.

Il faut garder à l’esprit que pendant toute la durée de la renégociation, la partie en demande doit poursuivre l’exécution du contrat.

En cas d’échec de la renégociation entre les parties, le juge est en droit de réviser le contrat ou encore d’y mettre fin.

 

D’autres mécanismes visent à garantir les utilisateurs pour le cas où un prestataire ou éditeur deviendrait défaillant, notamment en cas d’ouverture d’une procédure collective.

 

3. L’ouverture d’une procédure collective et le droit d’accès aux codes sources

La maintenance d’un logiciel peut être mise en péril en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de son éditeur ou du prestataire informatique qui en assure la tierce maintenance.

Soulignons que durant la période actuelle de confinement, l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une société établie en France ne devrait pas être la règle, notamment parce que l’État a pris des mesures pour pallier les difficultés de trésorerie des entreprises.

Un risque de recrudescence des procédures collectives est en revanche à craindre dans un second temps.

 

Procédure collective à l’encontre d’un éditeur

Pour s’en prémunir, il convient de vérifier si le contrat de licence prévoit le dépôt des codes sources entre les mains d’un tiers séquestre et l’accès à ces sources.

Si tel est le cas, l’utilisateur sera en mesure d’y accéder et pourra en faire reprendre la maintenance par une société tierce.

A défaut, l’article L.122-6-1 du Code de la Propriété Intellectuelle autorise tout licencié à reproduire et modifier le logiciel, notamment aux fins de correction des erreurs.

Cependant, le contrat de licence peut réserver à l’éditeur ce droit de correction, d’où la nécessité pour l’utilisateur d’auditer ses contrats de licence afin d’anticiper toute rupture de la continuité de son activité.

 

Procédure collective à l’encontre d’un prestataire

Un tel prestataire informatique peut être en charge de tierce maintenance, de développement applicatif, d’intégration ou encore d’infogérance.

En cas de redressement judiciaire

En cas d’ouverture d’un redressement judiciaire, l’administrateur judiciaire a la faculté d’exiger la poursuite des contrats en cours.

L’utilisateur qui souhaiterait se désengager du contrat pourrait seulement mettre en demeure l’administrateur d’avoir à se prononcer sur la poursuite ou la cessation du contrat.

En cas de silence de l’administrateur passé un mois, le contrat en cours est résilié de plein droit.

En cas de liquidation judiciaire

Pour le cas où une liquidation judiciaire est prononcée, pour toute prestation payée d’avance, l’utilisateur peut uniquement déclarer sa créance entre les mains du représentant des créanciers.

Pour les contrats de développement de logiciels, il est particulièrement judicieux pour l’utilisateur de vérifier si son contrat prévoit que la cession est opérée à son bénéfice au fur et à mesure des développements :

  • Si tel est le cas, il sera en mesure de revendiquer les droits sur les applications en cours de développement et de faire poursuivre les développements par un tiers.
  • A défaut, le cocontractant ne serait titulaire d’aucun droit sur les développements d’ores et déjà effectués et ceux-ci resteraient acquis à l’actif de la procédure collective dont fait l’objet le prestataire.

 

Florence Ivanier – Avocat Associée AURELE IT

 

[1] CA Besançon 2e chambre commerciale, 8 Janvier 2014 – n° 12/02291
[2] Cass Com. 16 septembre 2014, n° 13-20306